Un long dimanche de fiançailles

Affiche Un long dimancheÇa entre par un œil, ça sort par l’autre…

Ce n’est pas en filmant en travelling arrière des tranchées faites de boue, de sang caillé (et de merde, osons le dire) que Jean-Pierre Jeunet, malgré qu’il en ait, peut se mettre dans le sillage du Stanley Kubrick des Sentiers de la gloire. Ce n’est pas non plus en mettant l’accent avec une certaine lourdeur sur les exécutions capitales que la hiérarchie – toujours structurellement odieuse – a été bien obligée d’ordonner pour que la guerre puisse être gagnée. (Je sais bien le discours sur l’absurdité, l’horreur et le scandale de la guerre ; je suis bien parallèlement contraint d’observer que la guerre existe depuis la plus haute antiquité, qu’elle est certainement aussi substantielle à l’Homme que la respiration et que, de ce fait, il est un peu vain de geindre sur son existence). Le pamphlet antimilitariste est un genre qui se porte volontiers au cinéma, mais qui finalement n’a pas plus beaucoup de poids dans la réalité que le pamphlet anticapitaliste.

Un long dimancheLes prémisses admises de cette immolation de cinq misérables soldats, conséquence de la peur, de la malchance ou du besoin de faire un exemple, les images numériques des ouragans d’acier qui ont dévasté des territoires entiers complaisamment exposées (images que j’avais gobées, je l’admets volontiers, lors de ma première vision d’Un long dimanche de fiançailles au cinéma, yeux et oreilles secoués), on va vite se retrouver dans une histoire d’une complication extrême et d’un romanesque échevelé, typique des talents fatigants de Sébastien Japrisot.

longdimaOn voit bien que la production a doté le film de considérables moyens : outre les effets spéciaux numériques qui, au moment du tournage, il y a plus de dix ans, n’avaient pas la banalité qu’ils ont aujourd’hui, il y a un effort sur la reconstitution de l’époque, les costumes, l’abondance de la distribution (y compris Angelo Badalamenti à la musique comme dans La cité des enfants perdus). Jeunet, après le triomphe justifié d’Amélie Poulain a eu les moyens de ses ambitions. Ceci est plutôt bien, parce que dans le paysage du cinéma français, voué, sauf exception, aux sujets de société formatés pour la télévision, ces ambitions là sont plutôt bienvenues.

Mais ce qui fonctionnait bien dans ses premiers films, – la bizarrerie de Delicatessen, l’onirisme de La cité des enfants perdus, la fable charmante d’Amélie Poulain) – semble plutôt pesant dans le scénario tordu japrisotien et sa marqueterie compliquée. On ne peut pas traiter de la même façon les personnages en les présentant, comme dans Amélie, avec une voix off et une saynète édifiante : ce qui est léger ici est pesant là. Les vignettes pittoresques ou rigolotes se collent mal à un récit ainsi mal traité, rocambolesque mais plutôt grave.

andre-dussollier-ticky-holgado-audrey-tautouÀ ne pas choisir entre son inspiration, habituellement funambulesque et son sujet – tragique, souvent mélodramatique – Jean-Pierre Jeunet bâtit un film bizarre où ses tics de réalisation ne marchent plus. Abus des grands angles, photographie à teintes mordorées, parenthèses en flashbacks ou en insertions de bandes d’actualité, vraies ou fausses, goût des silhouettes pittoresques (Ticky Holgado, Dominique Pinon, Jean-Claude Dreyfus, Rufus) et des clins d’œil pour amateurs (Tina Lombardi – Marion Cotillard, tueuse costumée en religieuse à cornette, évoque évidemment Francine Bergé dans Judex ; la même Tina rencontre une de ses victimes sous le pont Alexandre III comme, sous un autre pont il est vrai, Brad Pitt rencontrait Antonio Banderas dans Entretien avec un vampire).

longdimancheQu’Un long dimanche de fiançailles soit bâti d’invraisemblances (en 1920, Mathilde/Audrey Tautou, poliomyélitique massée chaque semaine et absolument nue sur la table de massage – quand on connaît la pruderie de cette époque ! – Mathilde rencontrant Tina en prison à la veille de son exécution, la femme de Benoît Notre-Dame (Clovis Cornillac) vendant en quelque jours la ferme de Dordogne et s’établissant quelques jours plus tard en Charente !!!) serait admissible si le film était nimbé de poésie, aussi irréel que les premiers films de Jeunet. Là, ça pèse et agace. On suit, parce qu’on est capté par l’efficacité roublarde du récit. Mais on n’est pas plus fier que ça d’avoir suivi.

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