Un plan simple

La plume du corbeau dans la culotte du zouave.

Admirable titre que celui d’Un plan simple et admirable grinçante situation de braves gens insignifiants qui, par une sorte de logique implacable des choses se trouvent peu à peu coincés dans un piège infernal semé de cadavres ! On a rarement aussi spirituellement mis en valeur des situations dans quoi chacun peut sinon se retrouver, du moins imaginer qu’il pourrait être, jusqu’à leurs développements les plus épouvantables…

Le Wisconsin d’Un plan simple est tout aussi déprimant que le Dakota du Nord de Fargo : de la neige, des bourgades déprimantes de laideur et d’insignifiance, des habitants imbibés de bière et gavés de hamburgers, une sorte de solitude martiale hypocrite. Même les cimetières, bien différents des nôtres, si pittoresques et attirants, sont d’une laideur à faire frémir. Au milieu de cette nature déprimante, une toute petite goutte d’espérance : un avion plein d’argent malhonnête, découvert par Hank (Bill Paxton), son frangin, Jacob (Billy Bob Thornton), qui est à la limite inférieure de la débilité mentale et Lou, le copain de Jacob (Brent Briscoe), grassouillet crétin alcoolique.

Ce qu’on va faire des millions de dollars ainsi trouvés est tout le propos du film : la découverte qui empoisonne la vie, finalement assez paisible et évidente, de ces villageois. Que l’on songe à Fargo, du fait de l’atmosphère, de la rudesse et de l’ennui invraisemblable de ces contrées perdues me semble évident et ceux qui ont dressé un parallèle ont bien sûr raison. Mais j’ai songé forcément à un film qui se passe à des encâblures, avec d’autres villageois et dans un autre site, qui montre pourtant l’évidence de l’argent destructeur.

Qu’allez-vous penser ? Aguirre ou la colère de Dieu, la lèpre de l’or, la soif de l’or aux temps des conquêtes ? Le trésor de la Sierra Madre, le pourrissement des relations d’amitié ? Oui, sans doute, mais davantage encore à Crésus, le seul film qu’ait réalisé Jean Giono où Jules (Fernandel) découvre, tout aussi inopinément que Hank, Jacob et Lou, une masse de dollars, découverte qui déclenche, sur un haut plateau aride de Provence, toute une série de catastrophes.Le film de Giono est ironique et narquois ; celui de Sam Raimi tourné avec beaucoup d’humour vers une sorte de féerie macabre, chaque séquence, ou presque, aboutissant à un massacre invraisemblable, né d’une logique impeccable et désespérante, chaque meurtre conduisant, par une sorte d’évidence inéluctable, à un autre.

Et puis, à partir de combien de billets oublie-t-on sa rectitude morale ? Voici une autre référence : Une vie difficile, de Dino Risi : le journaliste Silvio Magnozzi (Alberto Sordi), plein d’une vertueuse indignation, se dresse contre un industriel véreux dont il projette de dénoncer la malhonnêteté dans on journal : Je suis payé 5000 lires et je ne retirerai pas l’article pour 50.000 lires ! Et l’industriel : Mais pour 5 millions ?

Hank et sa femme Sarah (Bridget Fonda) resteraient bien honnêtes, étriqués, parcimonieux si le tourbillon des 4 millions et demi de dollars ne venait leur tournebouler la tête. Mais est-ce que c’est possible ?

Les corbeaux volètent dans la forêt, la neige tombe doucement. Le sang a giclé très fort. La ville reste un trou perdu. Forcément.

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