Un prophète

La vie en dégueulasse.

C’est un film glaçant, brutal, haletant malgré sa longueur (2h40), un film qui met mal à l’aise d’emblée et ne permet pas de respirer. Même les deux ou trois drôleries qui, ça et là, surviennent ne suffisent pas à faire diminuer la tension.

C’est un film en tous points excellent et en tous points désagréable parce qu’il donne à voir une réalité odieuse sans faire miroiter le moindre petit coin de bleu dans le ciel de pluie. Des films qui se passent en prison, du Trou de Jacques Becker aux Evadés de Frank Darabont, il y en a une palanquée, et l’enfermement n’y est jamais présenté comme une aimable partie de plaisir… loin de moi de prétendre avoir vu tout ce qui a été réalisé sur l’univers carcéral, mais je doute bien fort qu’on ait souvent atteint une si forte adéquation entre la perfection de la forme et l’intelligence du fond.

Perfection de la forme, par l’image salie, bleuâtre, quelquefois comme hachée de spasmes, par l’efficace brutalité du montage, par une bande-son exceptionnelle, moins pour la musique d’accompagnement que pour le brouhaha sanglant et continu de la prison, hurlement des types sodomisés, halètement des drogués, imprécations des cinglés, cris qui emplissent perpétuellement l’espace.

Perfection aussi du jeu fantastique d’acteurs qu’on n’attendait pas dans un rôle de chef de clan corse (Niels Arestrup) ou qu’on ne connaissait pas du tout (Tahar Rahim), petite gouape illettrée qui va finalement prendre le pouvoir, mais aussi de tous les autres protagonistes, matons tout comme malfrats, qu’ils soient corses ou musulmans…

Perfection de la progression du récit : en ne reculant pas devant une longueur inusitée, et qu’on pourrait juger exagérée, pour un film focalisé pratiquement sur un seul lieu, Jacques Audiard prend le temps de tout montrer et ne rend pas invraisemblable, du fait d’ellipses ou de raccourcis faciles, la transformation du personnage de Malik et sa graduelle accession à la direction des choses.

Dans un univers de délire, de drogues, de sexualité avilie, de violence obsessionnelle, de coups féroces, de brimades immondes, les amitiés, les sympathies ne sont que connivences provisoires, et les trahisons sont la norme absolue.

Regard tragique sur la nature humaine, Un prophète gagne aussi beaucoup à n’être pas un énième plaidoyer sur une malfaisance – réelle ou prétendue – de la prison : celle qui est représentée est une Maison centrale, réservée aux condamnés à de longues peines, et non une Maison d’arrêt (réservée aux prévenus et petits délinquants) ou un Centre de détention (qui accueille les détenus à de courtes peines jugés réinsérables).

Dans une Centrale, il n’y a que des malfaiteurs endurcis, récidivistes ou particulièrement dangereux ; et nulle part dans Un prophète n’est introduit un élément artificiel du type erreur judiciaire : ce sont bien des fauves qui sont là, prêts à tout et disponibles pour tout et Malik – avec qui, heureusement, l’empathie du spectateur ne sera jamais complète ou franche – de jeune pittbull violent qu’il était deviendra un chef de bande aussi cruel qu’égocentrique…

Dur regard et superbe film !

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