Je pensais à un miracle dans la carrière d’ Yves Boisset, tâcheron politiquement obsédé, redresseur de torts qui se croyait investi d’une mission dénonciatrice, de cet artiste engagé (comme si engagement et art pouvaient être copains !) ; ce miracle, c’était ce Taxi mauve. Et je demeurais d’ailleurs stupéfait qu’un homme de gauche aussi laborieux ait pu avoir l’idée d’adapter un roman grave et léger tout à la fois d’un homme de la droite désinvolte et dégagée aussi affirmé que Michel Déon. Les confesseurs de mon enfance pieuse appelaient ça « la Grâce d’état » : le sujet est si bon qu’il rend meilleur le pêcheur.
Sur la seule foi de mon souvenir, de mon goût pour les romans de Michel Déon et de l’éclatante distribution du film, je m’étais dit Miracle ! un Boisset réussi ! pensant à une bonne note.
Après nouvelle vision hier, je me vois contraint de réviser ma bienveillance, bien que je le regrette. Car c’est là un film qu’on aimerait aimer sans réserve, et que, si l’on examine séparément les différentes composantes, on peut évaluer à bien davantage. Les acteurs, par exemple, sont formidables et je ne suis pas sûr d’avoir vu Charlotte Rampling plus belle que dans ce rôle de Sharon (qui-n’aime-personne-qu’elle-même) (et qui ne s’aime pas beaucoup, de fait), ni d’avoir vu Peter Ustinov si bien employé…
De la même façon, la musique de Philippe Sarde, ses aigres notes celtiques, la photogénie des décors, certaines trognes surprises ici et là dans les pubs enfumés, la capacité à filmer la permanente humidité sont des réussites et l’anecdote du roman est d’autant mieux rendue que Déon a collaboré à l’adaptation. Tout cela justifierait bien d’une note supérieure à la moyenne.
Mais j’ai beau faire, ça ne me prend pas, ça ne me touche pas ! J’écarte d’emblée le fait que je ne suis pas du tout sensible à ce paysage de landes herbues et terreuses, à cette Irlande rousse et verte dont les ciels ne sont jamais vraiment bleus, et dont les sables argentés sous des lumières vagues me semblent traîtres et glaçants ; j’écarte aussi mon peu de goût pour le folklore campagnard et bagarreur – toujours trop présent dans le moindre film sur les pays celtes – ou pour les manoirs en pierre grise qui paraissent des dinosaures échoués sur des grèves de début du Monde. Après tout un film sur l’Irlande sans l’Irlande, ce n’est guère concevable…
Ce qui, en fait, me gêne, c’est le caractère tâcheronesque de Boisset, son incapacité à être léger, désinvolte et brillant ce que, de toute évidence, un pareil film exigeait, tant l’histoire en est scabreuse… C’est ainsi que les éclatants caractères mis en scène, tous joués par d’excellents acteurs (j’ai dit combien Charlotte Rampling était belle, et Ustinov tonitruant, mais Noiret est parfait, Astaire étonnant, et Agostina Belli délicieusement ambiguë), ces éclatants caractères ne sont pas fondus dans une mise en scène qui les agrège, mais demeurent par trop individualisés, formant un patchwork hétéroclite et non un camaïeu harmonique…
Tout ça n’est pas catastrophique et ça vaut tout de même bien la peine d’être vu…
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Ah ! une remarque au passage : la beauté trouble de Charlotte Rampling s’accommodait-elle mieux que toute autre d’une orientation incestueuse ? Huit ans après Un taxi mauve, dans On ne meurt que deux fois, elle couchait – et là de façon beaucoup plus explicite – avec son frère (Xavier Deluc)….