Depuis la plus haute antiquité, la guerre…
Dans la falote carrière de Denys de La Patellière, il y a trois années de grâce ; après le médiocre Retour de manivelle, avant l’atterrant Bateau d’Émile, il y a Les grandes familles, Rue des prairies, Un taxi pour Tobrouk.
Mais à dire vrai, je ne suis pas certain que ces trois films soient de La Patellière : le premier est adapté d’un roman de Maurice Druon, le deuxième, d’un roman de René Fallet ; les trois doivent tout à Michel Audiard, à son talent protéiforme, à son génie des mots, des situations, de l’empathie avec les acteurs, à sa capacité de distance avec les banalités bien-pensantes (on dirait aujourd’hui politiquement correctes).
Un taxi pour Tobrouk a laissé une trace étrange dans l’imaginaire collectif : des moyens de tournage assez notables, très peu d’acteurs, aucun personnage féminin, (ni même la moindre allusion à une histoire amoureuse), et une fin d’une brutalité inouïe (qui obligea La Patellière à tourner un épilogue, par ailleurs fort bienvenu et de signification forte parce que les spectateurs ne pouvaient pas imaginer que l’histoire s’arrêtait sur le visage effaré de Théo Dumas – Lino Ventura – sur la mort de ses compagnons d’odyssée). Un film dans l’unique décor du désert de Cyrénaïque (en fait les environs d’Alméria, en Espagne), avec une histoire très simple, des personnages archétypiques, des situations convenues, et pourtant une grande force émotionnelle.
Ces quatre français de la France libre, le ronchon qui ne veut surtout pas qu’on vienne lui casser les pieds (Lino Ventura), le Rouge qui a fui l’Espagne en 39 (German Cobos), le jeune médecin juif (Charles Aznavour), le fils de famille décavé et sceptique (Maurice Biraud, dont c’est sûrement le meilleur rôle), agrégés par la force des choses à l’officier de Wehrmacht (Hardy Krüger), dans leur représentation un peu caricaturale des combattants, en tout cas dans ce qu’ils peut y avoir de meilleur dans la fraternité guerrière, finissent par donner une image assez singulière des horreurs des batailles.
La Patellière, dans un des suppléments de l’excellent DVD, indique qu’il a voulu avec Un taxi, réaliser un pamphlet contre la Guerre. Voire. On est tout de même un peu perplexe devant ce grand jeu de piste où des mecs paraissent revenus dans une immense cour de récréation, certes infiniment plus dangereuse que celle de leur enfance, mais où passe le souvenir des mêlées batailleuses, des peignées majestueuses, des grandes rigolades complices, sans le poison délicieux distillé par les filles d’Ève, qui vient gâcher le grand jeu des garçons. Le réalisateur le dit assez, d’ailleurs, que les officiers de l’Armée française détachés conseillers techniques auprès de lui ont trouvé le film très bien, très conforme à leurs mentalités, très fidèle à leurs aspirations.
La guerre est certainement une des conneries les plus incontestables qui se puissent ; n’empêche qu’elle fascine toujours autant les hommes, sans quoi il y a lieu de parier qu’on y aurait mis fin depuis quelques millénaires. Un officier qui n’aime pas la castagne, c’est un escroc !, comme le lance Ramirez (German Cobos)… et il y a des types aussi bien que le Capitaine von Stegel (Hardy Krüger) qui ne conçoivent pas leur vie hors de cet aphorisme, et des tas de types qui, finalement, ne le trouvent pas si idiot, lorsqu’ils le pratiquent.
Jusqu’à ce que l’horreur majuscule survienne ; mais c’est une autre histoire…
Ah ! Un mot pour relever combien la liberté d’expression pouvait être entière en 1961 ; François Gensac (Maurice Biraud) parle de son père, qui est alors à Vichy, ami de tous les pouvoirs, ouvert à tous les compromis, prêt à toutes les soumissions : Si les Chinois débarquaient, il se ferait mandarin, si les nègres prenaient le pouvoir, il se mettrait un os dans le nez, si les Grecs… … eh bien si un dialoguiste écrivait ça, en notre temps de modernité, il ne se passerait pas deux heures avant que les tribunaux soient saisis…