Chef-d’œuvre, bien sûr…
Je n’ai jamais rencontré personne qui ne soit fasciné par ce court-métrage miraculeux de Jean Renoir, par la transposition parfaite au cinéma d’une nouvelle de Maupassant qui est, sans doute (avec Alphonse Daudet) l’écrivain français le plus désespérant, celui pour qui toute existence est un gâchis forcé (et qui intitule d’ailleurs tout simplement Une vie le récit d’un de ces gâchis-là).
Un miracle, ce court-métrage … mais un miracle qui n’a rien d’évident…
Les acteurs sont plutôt médiocres, volontairement ou non : Gabriello (M. Dufour), rondeur obligée de l’époque y est aussi exaspérant que d’habitude, Paul Temps (Anatole) est transparent, Jane Marken (Mme Dufour) en fait des tonnes et dérape dans les rires de gorge, Sylvia Bataille (Henriette) n’accroche pas la lumière, Gabrielle Fontan (la grand-mère) est à peine reconnaissable… Quant à Renoir lui-même (l’aubergiste Poulain), il est presque aussi faux que dans La règle du jeu, ce qui est peu dire…
Les dialogues sont à peine écrits, et guère convaincants (le nombre de fois où Henri (Georges d’Arnoux) dit Mon vieux en s’adressant à son camarade Rodolphe (Jacques Brunius) ou bien le mot final, lâché, des années après par Henriette, qui rencontre par hasard Henri qui est bien mal amené…)
Et pourtant, c’est un film magnifique, un de ceux qui, à mon sens, font vraiment comprendre ce qu’est le cinéma, une musique, de Joseph Kosma, quelquefois un peu emphatique, mais si souvent adaptée à la fluidité de l’image et de la rivière qui coule…
Car c’est peut-être ça, le chef-d’œuvre : la façon de filmer l’onde, les berges qui défilent au rythme lent des coups d’aviron, la lumière qui fait miroiter l’eau et tourner les têtes et, à la fin, les clochettes de la pluie qui frappent les flots, comme autant de petites blessures d’une histoire simple et bête comme la vie.