Pluie gluante
Ah, mais ça n’est vraiment pas mal, pas mal du tout, même, pour qui apprécie les histoires désespérantes, les personnages cassés, le poids de la fatalité et les catastrophes irrémédiables !
Et en plus ça se passe dans un hiver triste à pleurer, comme pleure continuellement le ciel, dans une toute petite station maritime de la Somme ou du Pas-de-Calais, à Merlimont ou à Rue, dans un vent qui courbe les herbes des dunes, dans la boue qui envahit les ruelles… Et comme c’est photographié par le grand Henri Alekan, on en a pour son argent.
Yves Allégret a mélangé tous les ingrédients possibles et on ne quitte pas, ou à peine, la nuit gluante, on sent bien le froid des dunes désolées, et la mesquinerie des minables villas que doit occuper, l’été (on n’aurait pas idée d’écrire à la belle saison) de la toute petite bourgeoisie.
C’est parfait ainsi pour conter une histoire triste. Ne pas donner sa chance à la beauté du monde, surtout, y faire attention ; ça gâcherait tout, un lever de soleil frais sur l’eau calme, un bout de soleil complice, même un chant d’oiseau (ou alors il faudrait être certain qu’un cri de corbeau…).
Grâce au froid, aux flots, à la nuit et à la solitude – quatre chouettes copains ! – un homme, un assassin, Pierre (Gérard Philipe) est venu ici pour en finir. Il a tué une femme, sa maîtresse, une chanteuse et il veut revoir le cadre où, enfant de l’Assistance publique, il a été élevé.
Il s’installe dans un hôtel infâme, le seul ouvert de la saison, tenu par une patronne cauteleuse et mauvaise comme une teigne (Jane Marken, parfaite dans ce style, comme toujours), qui exploite d’autres enfants de l’Assistance, Marthe, qui se donne à tous les hommes pour un peu de chaleur (la toute jeune Madeleine Robinson) et un adolescent taciturne. Survient un autre voyageur qui lui aussi vient de Paris, Fred (Jean Servais) ; il connaissait la chanteuse assassinée, a aussi été son amant. Il croit que Pierre s’est emparé des bijoux de la star et en veut une partie. Comme Pierre nie les avoir volés, il le dénonce…
Et ça finit évidemment très mal, dans la pluie qui continue à ruisseler sur des volets fermés, sans la moindre image d’espoir, sans la moindre ligne de lumière, parce que c’est comme ça, qu’il y aura toujours des pupilles de l’Assistance, qu’il pleuvra toujours sur cette côte désolée, parce que la vie est ainsi faite.
Gérard Philipe, pour qui je n’ai pas beaucoup d’admiration, est plus retenu qu’à l’habitude ; il est vrai qu’il n’a pas un sourire charmeur à donner, et qu’on ne le voit presque que marcher dans les dunes secouées de vent et de pluie, et errer entre masures et villas pauvres. Jean Servais – une des plus belles voix du cinéma français – est excellent. On retrouve les trognes connues de Gabrielle Fontan, d’André Valmy et de Carette…
C’est désolant et ça vous tient au cœur du début à la fin…