Virgin suicides

Virgin_SuicidesLe mystère.

Ce qu’il y a de parfaitement réussi, dans Virgin suicides, ce coup majeur frappé d’emblée par Sofia Coppola, ce qu’il y a de plus attachant et de plus glaçant, c’est qu’on ne comprend pas l’immolation collective des sœurs Lisbon, à moins de vouloir, assez grossièrement, mettre tout sur le dos des parents, si étouffants et souvent grotesques qu’ils sont. Et c’est, je crois, ce que disent assez fortement les images initiales où, vingt-cinq ans après la disparition des jeunes filles, les garçons qui les épiaient chaque soir, devenus des hommes faits, se posent encore la question, sans doute davantage étonnés que peinés.

La lumière dorée des fins d’été montre une petite ville ou peut-être une banlieue cossue proche de Detroit, au Michigan, comme on l’apprendra ensuite grâce à des allusions légères à la déconfiture progressive de ce qui fut la capitale de l’automobile. Detroit qui est aujourd’hui une cité en faillite, dont le centre est devenu une friche et qui a perdu la moitié du million et demi d’habitants qu’elle comptait en 1970. C’est-à-dire à peu près au moment où la famille Lisbon s’installe dans la coquette maison typique de l‘American way of life, dans une rue sage, bien peignée, sans rien qui dérange.

Virgin-suicides-1Cinq jolies filles blondes, tous les âges de l’adolescence ; le père, Ronald (James Woods), professeur de mathématiques, crétin sentencieux et bienveillant, craintif devant l’austérité inquiète de sa femme Sara (Kathleen Turner), imbue d’une religiosité malsaine (mais tout de même beaucoup moins que la mère (Piper Laurie) de Carrie). Et tous les bourdons du collège qui tournent autour des abeilles.

Le suicide de Cécilia (Hanna R. Hall), la plus jeune (13 ans) des filles, pour douloureux qu’il est, et affreux (après une première tentative de se couper les veines, elle saute de l’étage s’embrocher sur la pique acérée d’une grille) n’est pas vraiment surprenant. Après son premier essai infructueux, au médecin qui s’interroge sur son désespoir, alors qu’elle a tout pour être heureuse, son Vous n’avez jamais été une fille de 13 ans est aussi glaçant que déterminé. Naturellement cette mort affreuse assomme la famille et les parents désormais dans l’affreux questionnement du Pourquoi ? et du Qu’aurais-je dû, ou pu faire ?.

La vie reprend. Les filles sortent un peu. La plus jolie, Lux (Kirsten Dunst) au sourire angélique est un démon de sensualité dissimulée, mais aussi une adolescente romanesque, accablée par la brutalité de l’abandon de Trip (Josh Hartnett ), le beau mec, le tombeur du collège qui, vingt-cinq ans après, se demande encore pourquoi il a blessé sans raison cette beauté lumineuse…

back-to-school-2011-the-virgin-suicides-debat-L-uDEkZrSans doute, intuitivement et inconsciemment toutefois s’est-il rendu compte que les sœurs Lisbon n’étaient pas des filles comme les autres, qu’elles portaient en elles la marque noire fatidique de la mort prochaine. Et c’est bien pourquoi tous ceux qui étaient presque encore des gamins boutonneux interrogent-ils leurs souvenirs pour ne toujours rien comprendre.

Sofia Coppola a porté ce sujet grave et si tragique pour tant de parents avec une finesse et une délicatesse impeccables, jonglant avec une grande aisance entre passé et présent de son film, entre les physionomies, les visages, les situations. Elle a su – surtout ! – ne jamais tenter de percer la carapace lisse des jeunes filles : nous aurons passé avec elles le temps du film sans jamais ne percevoir que leur éclat, mais jamais leur profondeur.

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