On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Si je titre mon avis d’un propos fameux de notre vieux camarade Héraclite, le philosophe présocratique bien connu, c’est parce que je pense que l’excellent Michel Blanc n’a vraiment pas eu une bonne idée. Et que, dès sa conception, on pouvait craindre que la suite qu’il donnait à son assez réussi Embrassez qui vous voudrez était vouée à l’échec. À tout le moins au patinage en toupie. Le premier film a été tourné en 2002 et la suite, donc, Voyez comme on danse en 2018, seize années plus tard ; sinon une génération, du moins tout un monde, une atmosphère et des gens qui ont passablement vieilli, forcément.
Parce que, compte tenu du délai intervenu entre les deux réalisations, il était évidemment indispensable de faire effectuer à ses personnages une sorte de saut temporel. Impossible évidemment de reprendre les multiples intrigues du premier film là où elles s’achevaient pour les rabouter à grand mal au second. Le long intervalle de seize années survolé, on était bien contraint de retrouver des caractères et des personnalités à peu près identiques dans leur structure, mais encore un peu davantage fanés par la vie.
Dans ce genre d’exercice cinématographique, qui n’est pas tout à fait inédit, on perd évidemment en route quelques uns des acteurs, ceux qui ne peuvent ou ne veulent plus participer à l’aventure ou dont le rôle était trop ténu. Michel Blanc règle plutôt la question en éliminant quelques protagonistes ; par exemple il n’évoque plus du tout Jérôme (Denis Podalydes), le falot parcimonieux mari de Véronique (Karin Viard), toujours aux prises avec l’urgence et les fins de mois et qui, comme souvent, crève l’écran. Ont aussi disparu Julie (Clotilde Courau) ou la volcanique Émilie (Lou Doillon). Et sûrement quelques autres que je ne me rappelle pas.
Innovation assez singulière, concession à l’humeur du Temps ou idée ingénieuse (je ne parviens pas à trancher), la transformation du dérangeant hermaphrodite Rena (Mickaël Dolmen) sur qui avait mis la main Bertrand Lannier (Jacques Dutronc), le riche homme d’affaires assez louches, mari d’Elizabeth (Charlotte Rampling). On retrouve Rena sous les traits d’une certaine Serena (Sara Martins) qui après avoir accompli sa transition est devenue (entre autres qualités) la maîtresse de Julien (Jean-Paul Rouve) mari de Lucie (Carole Bouquet). Pourquoi pas ? Ce n’est désormais pas plus invraisemblable qu’autre chose, n’est-ce pas (ou en tout cas paraît-il).
Michel Blanc qui interprétait dans le premier volet Jean-Pierre, le mari jaloux de Lucie/Carole Bouquet s’est réservé dans le second tome un petit rôle insignifiant, inutile (autant faire un caméo si l’on veut faire un clin d’œil au public) : désormais divorcé donc, il surveille avec un soin maniaque sur son ex-femme dotée, il est vrai, avec Julien/Rouve d’un nouvel époux, drôle d’oiseau paranoïaque et volage…
En racontant tout cela (mais en faisant l’impasse sur de nombreux développements périphériques), je suis bien conscient que, pour qui n’a pas vu Embrassez qui vous voudrez et Voyez comme on danse, je parle un peu chinois. Ça n’a pas d’importance. Les films réalisés par Michel Blanc (Marche à l’ombre, Grosse fatigue essentiellement) lui avaient valu succès critique et public. Voyez comme on danse a été un échec sur ces deux plans. Il y a finalement assez peu de miracles.
Revenons à Héraclite.