En 1961, à quatorze ans, lorsque j’ai vu cet immense film à sa sortie, j’avais déjà usé pas mal de fonds de culotte dans les salles obscures et ingurgité un peu de tout, ce qui allait des charmants nanars, du type A pied, à cheval et en voiture dont je me suis fait ici l’apologiste quasi-exclusif aux oeuvres ambitieuses à costumes, du type Senso que je soupçonne de m’avoir dégoûté à tout jamais du maniérisme de Visconti. En d’autres termes, le cinéma n’était qu’une distraction que j’avalais boulimiquement et, alors même que je commençais à éclaircir mes choix littéraires, je me gavais d’absolument n’importe quoi en matière de Septième Art.
Je suis ressorti de la projection de West Side Story le cœur chaviré, l’œil humide et la gorge sèche : je n’avais jamais rien vu d’aussi beau, d’aussi émouvant et d’aussi impressionnant ; d’une seule projection, je venais de comprendre que le cinéma n’était pas seulement une bonne histoire spectaculaire, non plus que des dialogues spirituels, ou des trognes d’acteurs singulières, mais que c’était tout cela ensemble et bien d’autres choses aussi, une alchimie mystérieuse qui ne cesserait de m’émerveiller, et qui renvoyait à un passé ultra-poussiéreux le théâtre, et ses personnages qui s’égosillent en feignant de nous faire croire qu’ils chuchotent, ses artifices et ses rideaux troués…
Il me semble d’ailleurs que j’ai eu d’emblée le souffle coupé, dans cette longue descente aérienne sur New-York, sur un New-York de plus en plus proche, dans cette plongée qui semblait écarter les immeubles, de plus en plus miteux jusqu’à ce que la caméra s’arrête sur un terrain de basket crasseux et que, dans un rythme magnifique qui donne le ton et la cadence du film, les Jets et les Sharks commencent à se charrier, puis à se battre.
Et il me semble aussi, après l’avoir revu récemment encore, qu’il n’y a pas grand chose à jeter, de ce film long, de ce mélodrame fatal et que même les instants sirupeux entre Tony (Richard Beymer) et Maria (Natalie Wood) sont nécessaires.
Chacun se souvient du Bal, où Jets et Sharks rivalisent, où Tony et Maria se rencontrent, chacun se souvient d‘America ou de I feel pretty, mais on ne peut pas réduire le film à ces morceaux de bravoure…
Quarante cinq ans après, j’envie ceux qui, de génération en génération le découvrent…